« Sida : une prévention hors les murs pour les transgenres » – Le Monde

Santé – Une prophylaxie préexposition au VIH a été proposée hors du cadre hospitalier pour éviter la transmission lors de rapports des personnes transgenres, qui ont un risque d’être infectées cinquante fois supérieur à celui de la population générale.


Sous toutes les latitudes, les actions de prévention contre le virus du sida (VIH) buttent sur une difficulté : atteindre certains groupes de population ayant un risque d’être infectés supérieur à celui de la population générale, mais à l’écart des structures sanitaires. Faute de voir venir à lui ces groupes, l’hôpital, où se pratique le dépistage anonyme et gratuit des infections sexuellement transmissibles, doit alors travailler hors les murs.

Depuis la fin 2017, une équipe parisienne des hôpitaux universitaires Saint-Louis – Lariboisière – Fernand Widal (AP-HP) expérimente une prescription hors les murs de la prophylaxie préexposition (mieux connue sous le sigle anglais PrEP) à des personnes transgenres. La PrEP consiste pour une personne séronégative à prendre des médicaments anti-VIH avant des rapports à risque. Elle permet une protection efficace contre la transmission du VIH, mais pas contre les autres agents d’infections sexuelle- ment transmissibles.

Les premiers résultats de cette action originale, soutenue par le Sidaction et Vers Paris sans sida (Mairie de Paris), abondent dans le sens de la faisabilité de ce type d’intervention, estiment ses concepteurs. Ils ont été présentés lors de la Conférence internationale franco- phone VIH/hépatites (Afravih), qui s’est tenue à Bordeaux du 4 au 7 avril.


Difficile accès à la prévention

En France, avant de pouvoir être renouvelée par un médecin généraliste, la première prescription d’une PrEP doit être faite par un service hospitalier spécialisé dans la prise en charge des personnes infectées par le VIH ou dans un centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic des infections par le VIH, les virus des hépatites virales et les agents des infections sexuellement transmissibles (CeGIDD, qui depuis 2016 a pris la suite des centres de dépistage anonyme et gratuit ou CDAG). Si une personne ne vient pas à l’hôpital ou au CeGIDD, elle ne pourra pas en pratique avoir accès à ce mode de prévention.

L’étude présentée à l’Afravih est le fruit d’une collaboration ancienne entre le CeGIDD, situé à l’hôpital Fernand-Widal, et AREMEDIA, association de santé publique et d’éducation populaire agréée par le ministère de la ville, de la jeunesse et des sports et le rectorat de l’académie de Paris.
« Nous avons commencé des actions de prévention hors les murs depuis 2001, se souvient le docteur Marc Shelly, médecin de santé publique et président d’AREMEDIA. Au CDAG de l’hôpital Fernand-Widal, dont j’ai été le responsable, nous avions une clientèle CSP+. Nous avons donc décidé́ d’aller vers les personnes plus vulnérables pour surmonter les freins psychosociaux à l’accès aux structures de droit commun, même gratuites et de proximité́ comme le CeGIDD. »

Le CeGIDD de l’hôpital Fernand-Widal étend son action sur une bonne partie du nord-est de Paris, où vit une population particulièrement exposée. Grâce à l’intérêt des tutelles et notamment celui de l’Agence Régionale de Santé, l’équipe a démultiplié les approches de dépistage et de prévention diversifiées : « Nous avions commencé par vingt à trente actions par an. Nous en sommes à deux ou trois par semaine, soit plus d’une centaine en 2017, avec plus d’un millier de bénéficiaires », souligne Christophe Segouin, directeur du CeGIDD et concepteur de la PrEP hors les murs.

Cette démarche hors les murs s’adresse à différents publics cibles, peu enclins à venir au CeGIDD : usagers de drogue par voie intraveineuse, personnes migrantes, personnes pratiquant la prostitution, personnes transgenres – principalement d’origine latino-américaine –, hommes ayant des rapports homosexuels… Des ateliers de santé sexuelle, des maraudes ont permis de sensibiliser plus de 1 700 personnes et des dépistages hors les murs ont été pratiqués auprès de 750 individus. Le taux de séropositivité pour le VIH était de 2,2 %. Pour les autres IST, il atteignait 4 % (hépatite B), 2,7 % (hépatite C), 6,2 % (chlamydiae), 4,5% (gonorrhée) et 3,8% (syphilis).

L’équipe de Christophe Segouin et de Marc Shelly a souhaité proposer la PrEP aux personnes éligibles, qui sont particulièrement exposées au risque d’infection par le VIH, et notamment à des personnes transgenres « qui ont un risque près de cinquante fois supérieur à celui de la population générale », rappelle Christophe Segouin. L’action en direction des personnes transgenres a été montée avec l’association PASTT (Prévention action santé travail pour les transgenres) fondée par la docteur Camille Cabral, dermatologue d’origine brésilienne, elle même transgenre. Un accord a été́ trouvé avec la pharmacie de l’hôpital Lariboisière pour délivrer un générique du Truvada (association antirétrovirale utilisée pour la PrEP).

Six personnes transgenres sur quatorze initialement vues en consultation ou en dépistage étaient éligibles à la PrEP et cette modalité de prévention a été́ instaurée pour quatre d’entre elles, quatre mois après le lancement du projet : trois des quatre personnes ont plus de 35ans, trois sont latino-américaines et une originaire d’Afrique subsaharienne. Les initiateurs de ce projet, encouragés par ce premier succès, certes limité, entendent poursuivre l’expérience sur un plus grand nombre d’individus et évaluer le suivi des personnes sous PrEP à moyen et long terme.


Paul Benkimoun